« Un cœur en hiver » de Claude Sautet : drame au cœur d’un trio à cordes

Il y a quelques jours passait à la télévision un film de 1992 de Claude Sautet avec un trio d’acteurs d’anthologie : Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil et André Dussollier. Cette histoire d’amour teintée de musique et de mélancolie, Un cœur en hiver, m’a interpellée et je souhaite ici vous partager mon avis et mon analyse à son sujet. Attention cependant, certaines parties de mon propos peuvent vous divulguer trop d’informations sur l’intrigue. Et même si le film vaut le coup d’être regardé pour son esthétique, l’univers musical, le jeu des acteurs et la transcription de l’ambiance de la capitale dans les années 1990, il n’en reste pas moins que cela pourrait vous gâcher un peu du plaisir de le regarder ;).

Et vous, qu’avez-vous pensé de ce film ? Rendez-vous dans les commentaires en bas de cet article ⇓ ou en message privé, cela me fera plaisir d’échanger avec vous 🙂 !

1. Un trio amoureux cornélien

L’intrigue d’Un cœur en hiver se déroule à Paris au début des années 1990. Une violoniste de renom, interprétée par Emmanuelle Béart, se voit courtisée par deux luthiers, incarnés par André Dussollier et Daniel Auteuil. Le premier d’entre eux dirige une lutherie de la capitale et rencontre un jour par cet intermédiaire la belle violoniste. Il devient quelque temps après son compagnon officiel et le couple semble filer le parfait amour.

trio film un cœur en hiver
Image du film Un cœur en hiver, tirée du site notreCinema.com

Daniel Auteuil, un luthier de talent au caractère ambivalent

Son acolyte et collaborateur, joué par Daniel Auteuil, est un luthier de grand talent et travaille avec plaisir pour son ami de longue date. Il est plutôt réservé et taciturne et ne paraît que peu goûter les joies de la vie parisienne. Mais un jour, il croise Emmanuelle Béart dans l’atelier et semble tomber sous son charme. Il n’en parle à personne dans le film, pas même à celle qui apparaît comme sa meilleure amie, une libraire qu’il voit très régulièrement au cinéma ou au restaurant.

Tout bascule alors puisqu’avec de simples regards langoureux et pleins d’amour, agrémentés de quelques phrases équivoques, Daniel Auteuil charme Emmanuelle Béart. Cette dernière se retrouve alors prise entre deux feux (amoureux) : d’un côté André Dussollier, un homme gentil, sociable et fou d’elle avec qui elle est en train d’emménager ; de l’autre Daniel Auteuil, mystérieux, taiseux et qui paraît manquer cruellement de stabilité émotionnelle.

Un trio con gran espressione pour violon et deux luthiers

Mais rien n’y fait, la musicienne est prise dans les filets du jeune luthier. S’ensuit alors un jeu de séduction malsain où Emmanuelle Béart cherche la présence de Daniel Auteuil, tandis que ce dernier la fuit puis la courtise tour à tour. Toutes les femmes ayant connu ce type d’approche de la part des hommes ne pourront que compatir !

André Dussollier, quant à lui, comprend bientôt que sa compagne est ailleurs. Elle s’en livre un jour à lui et il ne parvient même pas à lui en vouloir car il est pour sa part très amoureux d’elle. Même lorsque la violoniste comprendra que Daniel Auteuil ne veut pas vivre de relation amoureuse avec elle et qu’il l’a peut-être séduite plus par jeu que par affection réelle, André Dussollier restera à ses côtés.

Un drame tristement banal

La fin est tristement banale ou banalement triste. Et c’est en partie ce qui fait le sel de ce film : il est vrai, il dit vrai, il respire les vrais sentiments humains. Emmanuelle Béart se fait éconduire par Daniel Auteuil alors qu’elle pensait pouvoir vivre son histoire d’amour avec lui. Les raisons sont floues et chacun pourra se faire son opinion en fonction de sa sensibilité. Mon avis est qu’il a peur du mariage, du quotidien au sein d’un couple (il observe souvent avec amertume et frayeur des connaissances à lui se disputer). Il a éprouvé quelque chose pour Emmanuelle Béart mais ne veut pas s’abandonner à ce sentiment, au risque de tomber dans une histoire d’amour. C’est pourquoi il préfère fuir et éloigner la violoniste, cela en l’humiliant le plus possible.

Même s’il semble à la fin hésiter et regretter son choix, est-ce vraiment ce qu’il ressent ou plutôt le besoin de toujours séduire Emmanuelle Béart ? Quoiqu’il en soit, il lui dit à la fin au sujet d’un de ces amis :

« Je pensais qu’il était la seule personne que j’avais jamais aimée. »

Chacun se fera son opinion 😉 !

2. La musique omniprésente

Entre Emmanuelle Béart qui incarne une violoniste de renom et les deux luthiers qui se disputent son cœur, joués par Daniel Auteuil et André Dussollier, la musique est présente tout au long du film.

Les répétitions musicales

Le spectateur peut assister aux répétitions de la musicienne avec ses musiciens, un pianiste et un violoncelliste. On y voit l’acharnement avec lequel les interprètes reprennent des passages de chaque pièce ainsi que le besoin de concentration extrême. Autre point intéressant : le public qui assiste aux répétitions et qui paraît caractéristique ce cette époque, dans le prolongement des codes initiaux de la musique de chambre, à savoir une musique qui se jouait dans de petites pièces chez les particuliers. Ainsi, les agents des musiciens, les luthiers et quelques autres personnes introduites dans le milieu de la musique font office de public réduit pendant les répétitions d’Emmanuelle Béart.

Affiche Un cœur en hiver
Affiche du film Un cœur en hiver, tirée du site Ecranlarge.com

L’enregistrement d’un disque de musique de chambre

Tout cela tendu vers l’objectif final de l’enregistrement d’un disque de pièces de Ravel. Objectif qui met les nerfs de la violoniste à rude épreuve, en même temps que l’ignorance dans laquelle elle se trouve quant aux sentiments de Daniel Auteuil à son égard. Il s’agit d’un fil conducteur du film, qui permet également à diverses situations de prendre place :

  • Daniel Auteuil qui ne vient qu’à une journée de l’enregistrement du disque d’Emmanuelle Béart, alors qu’André Dussollier précise qu’il assiste normalement à tous les enregistrements des musiciens
  • Emmanuelle Béart qui doute de son interprétation en même temps que des sentiments de Daniel Auteuil
  • L’apogée de l’enregistrement du disque qu’Emmanuelle Béart a attendu pendant tout le film et qui finalement apparaît comme une formalité au spectateur, tant la violoniste semble absorbée par son amour pour Daniel Auteuil.

Un hommage musical à Maurice Ravel

Les trois musiciens principaux que l’on suit dans le film, la violoniste Emmanuelle Béart, un pianiste et un violoncelliste, s’entraînent sur des pièces de musique de chambre de Maurice Ravel, principalement des sonates pour trio. Le film de Claude Sautet est en cela un véritable hommage au compositeur français. Toute la bande originale de son film ainsi que les morceaux que les musiciens répètent puis enregistrent est constituée de morceaux de musique de chambre de Ravel, qui instaurent une atmosphère feutrée, étrange, intrigante, teintée d’un peu de mélancolie et d’angoisse. Cette musique est tout à fait adaptée au propos du film et sert à merveille l’intrigue, de quoi donner envie de (re)découvrir les chefs-d’œuvre de Maurice Ravel !

Les musiciens « ratés »

Le film de Claude Sautet met également en lumière un autre aspect de la musique : la persévérance et le talent. En effet, Emmanuelle Béart est devenue une violoniste de renom puisqu’elle a décidé très tôt d’en faire son métier et qu’elle a été encadrée d’une main ferme par son agent, une femme stricte mais aimante. On distingue bien ici comment la discipline et l’encadrement sont primordiaux pour faire de la musique un métier, et comment tout est question de choix et d’engagement.

À l’inverse, le luthier Daniel Auteuil précise qu’il a appris à jouer du violon (il vaut mieux pour être luthier 😉 mais qu’il n’avait pas assez d’appétence pour le travail acharné. On voit donc bien ici que tout cela tient à une rigueur spécifique à de nombreux domaines et dont la pratique de la musique fait partie.

3. Mon avis sur le film Un cœur en hiver

De nombreux éléments m’ont touchée dans ce film et pourtant, je ne suis pas très adepte de ces ambiances feutrées, lentes et introspectives. Mais il vaut sincèrement le détour et voici quelques raisons pour lesquelles j’ai beaucoup aimé ce long-métrage.

Une atmosphère d’un autre temps

Ce que j’ai trouvé beau et touchant dans le film, c’est surtout la représentation d’une certaine époque, les années 1990, dans la capitale et dans un milieu spécifique, celui de la musique et des musiciens. Il s’agit d’un univers très bourgeois où l’argent n’est bien évidemment jamais un problème ni même un sujet de discussion. Ce qui laisse la place à la pleine expression des sentiments amoureux et amicaux.

On y retrouve également un certain mode de vie de ces années-là, une forme de simplicité, une douceur de vivre. Par exemple, cette façon :

  • D’aller déjeuner au bistro le midi
  • De trouver facilement un logement à louer ou à acheter (cela va de paire également avec le milieu aisé de la musique)
  • De se vouvoyer même entre personnes du même âge (j’ai trouvé cela d’un chic incomparable et que l’on ne trouve plus de nos jours) : en effet, Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart se vouvoient pendant tout le film malgré leur proximité. Cela semble simplement marquer la réserve, le respect et la volonté de garder un peu de mystère dans ce jeu de séduction.

La représentation de l’univers de la musique

La musique est omniprésente dans ce film et n’est pas qu’un prétexte. Dans certains films, les personnages principaux sont pianistes, chefs d’orchestre ou autres musiciens comme ils auraient pu être artistes-peintres, cadres dans une entreprise ou autre. Dans Un cœur en hiver, la musique a son importance et son univers est très bien retranscrit : acharnement à la tâche, répétitions continues, cadres de vie très strictes, mondanités, critiques journalistiques etc.

Ce qui est par ailleurs évoqué et très intéressant est à mon avis le rapport à la musique. Le violon est un double d’Emmanuelle Béart, elle se met en danger lorsqu’elle le confie aux deux luthiers. D’aucuns pourrait d’ailleurs y voir le premier don de soi qu’elle fait à Daniel Auteuil… mais nous ne sommes pas là pour faire de la philosophie ! On comprend son rapport particulier à l’instrument, le besoin de le toucher, de le tester, de l’avoir avec soi. Le film montre également les méandres liés à l’interprétation d’une œuvre : en musique, il n’est pas uniquement question de technique et de « je sais jouer une pièce » ou « je ne sais pas jouer ce morceau ». C’est en effet bien plus compliqué que cela et parfois, l’esprit, le cœur ou les deux n’y sont pas, même si la technique est présente.

Emmanuelle Béart en parle lors d’une répétition avec son pianiste et son violoncelliste, lorsqu’elle est troublée par le regard insistant de Daniel Auteuil et alors qu’aucune fausse note n’est à déplorer dans la pièce de Ravel :

« Je n’y suis pas aujourd’hui, je suis désolée. Je n’y arriverai pas. »

Elle n’y est pas parce qu’elle pense à autre chose, elle n’est plus à son art, à sa musique. Essayez de jouer un morceau en pensant à votre liste de courses, vous verrez que les sonorités n’auront rien à voir !

Entre amitié et amour : un trio vraiment humain

Les histoires d’amour et les sentiments amoureux sont très bien retranscrits à mon avis. Ils montrent toute l’ambivalence du cœur humain :

  • André Dussollier est entre deux âges et semble vouloir s’installer durablement avec quelqu’un d’autre (il quitte sa femme pour vivre avec Emmanuelle Béart) : ce que l’on pourrait assimiler à une crise de mi-parcours, il souhaite changer de partenaire de vie et est réellement amoureux de la violoniste
  • Daniel Auteuil paraît un peu plus jeune et indécis : lui-même ne semble pas savoir ce qu’il veut mais il est conscient de son succès auprès des femmes et en joue parfois un peu trop, que ce soit avec Emmanuelle Béart ou avec son amie libraire qui a sans cesse l’air d’en attendre plus de lui sans se faire d’illusions
  • Emmanuelle Béart, jeune violoniste à la carrière prometteuse, a vécu pour son art et son violon depuis toujours et semble vouloir d’émanciper de cette vie trop stricte : elle se laisse volontiers approcher par André Dussollier qui incarne la stabilité, et charmer par Daniel Auteuil qui ressemble plus à un interdit. En cela, on pourrait comparer son comportement et ses sentiments à ceux d’une jeune fille en pleine adolescence (adolescence qu’elle n’a certainement pas vécue de la sorte, devant pratiquer le violon quotidiennement).
Un cœur en hiver
Image du film Un cœur en hiver, tirée du site Acaciasfilms.com

Petit bémol sur le jeu de la violoniste

Le seul point négatif du film, à mon avis, est le jeu un peu faux et forcé d’Emmanuelle lorsqu’elle « joue » du violon. Certes, je suis pianiste, me direz-vous ;). Mais je connais bien le violon pour travailler avec plusieurs violonistes. Et, en comparant à ce que je vois de la part de ces musiciens, je trouve que l’on sent un peu trop qu’Emmanuelle Béart fait semblant de jouer du violon et ne connaît en réalité que peu de choses à propos de cet instrument.

Cela étant, la manière dont Claude Sautet la filme et arrange les choses ne met pas le spectateur mal à l’aise pendant les scènes de musique ni ne le fait sortir de l’ambiance du film.

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